Confucius, ses disciples et ses sages coréens

Deux fois par an. Le cinquième jour du deuxième mois et cinquième jour du huitième mois du calendrier lunaire 

a lieu, à l’Académie Nationale Confucéenne « Seonggyun Gwan » à Séoul, une grande cérémonie confucéenne. Cette année, elle se tenait le 14 mars 2005 à 10 heures : ces cérémonies sont d’autant plus rares que le confucianisme est devenu très minoritaire en Corée où, pourtant, il reste plus présent que dans d’autres pays (moins de 1% de la population croyante se définit comme confucianiste).

1) Origine et développement du confucianisme

Le confucianisme est une doctrine morale d’origine chinoise. Il a pénétré progressivement la péninsule dès le VIe siècle grâce à l’introduction des caractères chinois et a coexisté avec le bouddhisme durant six siècles sans conflits majeurs, le bouddhisme étant plus profondément enraciné dans la population rurale, les lettrés ayant quant à eux une préférence pour la pensée philosophique confucéenne.

A partir du XIIeme siècle, le néo-confucianisme, devenu idéologie officielle de la dynastie des Yi (Choson) en 1392, supplante peu à peu le bouddhisme et connaît une période florissante, développant tout un système d’éducation, de rituels et d’organisation civile qui remodèle complètement la société coréenne.

Sous l’impulsion de grands philosophes tels que Yi et Toegye, le XVIeme siècle voit se développer écoles (Hyanggyo) et académies (Seowon) confucianistes.

Mais, au XIXeme siècle, la concurrence du christianisme notamment, entraîne un raidissement traditionaliste et sa perte d’influence.

2) La morale confucéenne

L’éthique confucéenne, fondée sur un idéal d’ordre dans les relations humaines, est un ensemble de préceptes moraux très pragmatiques visant à établir l’harmonie sociale. Ainsi, chacun doit respecter les principes du Code de Conduite : du sujet vis-à-vis de son roi (principe de pouvoir), des citoyens entre eux (principe de loyauté), et, au sein de la famille, des enfants vis-à-vis des parents, des cadets à l’égard des aînés, de la femme envers son mari (principe de respect).

Un individu a donc, dans l’existence quotidienne, plusieurs rôles à assumer en fonction des situations et de sa condition sociale, et il se doit de les intégrer tous, ainsi que les devoirs et les responsabilités s’y rapportant.

3) Le confucianisme de nos jours

Aujourd’hui, seule une petite minorité de Coréens s’en réclame encore, mais le confucianisme imprègne néanmoins toujours l’ensemble de la société, en particulier les courants les plus conservateurs.

Les jeunes générations en rejettent aujourd’hui la mentalité paternaliste qui a conforté les dictatures et régit encore les relations employeurs-employes dans la société coréenne.

La modernisation en Corée n’a pas suffit pour mettre à mal le confucianisme qui imprègne toujours toute la société. Bien que décriée, son influence est toujours prépondérante dans les rituels dédiés aux ancêtres et dans la célébration de tous les grands événements de la vie. Et il est omniprésent dans l’étiquette sociale contraignante qui prévaut dans les relations.

Le domaine de l’éducation reste lui aussi très marqué par ce passé confucianiste. Dans la morale confucéenne, c’est en effet par elle qu’étaient acquises position sociale et fortune.

Actuellement, l’éducation reste capitale, les parents se sacrifiant pour les études de leurs enfants et ces derniers faisant de même pour réussir leurs examens.

La relation maître disciple joue encore un rôle essentiel en Corée, ou le mot désignant le professeur, « SeonSaengnim », est aussi utilisé comme marque de respect.

4) Les écoles et académies confucéennes

Le premier institut public, établi en 372 selon le modèle éducatif chinois, fut nommé Académie Nationale Confucéenne ; sa vocation de transmettre l’éthique confucéenne témoignait déjà d’une volonté de développer la structure bureaucratique et de renforcer le pouvoir royal.

En 936, la dynastie Koryo unifia le pays et adopta le système confucéen des examens pour l’administration, en limitant toutefois son accès à la noblesse. En 1392, le général Yi Song Gye conquit le pouvoir et fonda la dynastie Choson (Yi) qui dura jusqu’en 1910, avec un système administratif centralisé de type chinois et le confucianisme dans sa nouvelle formulation de l’époque Song comme doctrine officielle. L’enseignement basé sur les Classiques chinois et spécialement sur les ouvrages éthiques et philosophiques de Confucius, devint la base de l’éducation et par conséquent de la carrière politique.

Apres l’annexion du pays par le Japon (1904-1945), le système de gouvernement a continué d’être le système confucéen traditionnel, paternaliste et rigide. La population recevait une instruction élémentaire suffisante pour le progrès de la productivité, mais pas pour la formation des dirigeants politiques.

La fermeture des écoles confucéennes ainsi que l’abolition des concours de recrutement des fonctionnaires à la fin du siècle dernier mit un terme à son étude académique systématisée.

L’académie nationale « Seonggyun-gwan », située dans l’université du même nom à Séoul, fut fondée en 1398 par Jaejo. Cette académie, la plus ancienne du pays, fonctionna donc à Séoul de 1398 jusqu’en 1910, quand les Japonais la transformèrent en école élémentaire privée. Elle reste la plus haute institution confucianiste du pays. Elle dirige les organisations confucianistes et organise cérémonies et rituels. Et elle abrite surtout, dans son sanctuaire, les tablettes de Confucius, de ses disciples et des dix-huit sages coréens.

Seonggyan-gwan, ainsi que toutes les autres académies et écoles, ne remplissent plus le rôle d’éducation, mais sont devenues des sanctuaires pour les tablettes des sages confucianistes.

5) Le déroulement de la cérémonie « Seokjonje »

Cette cérémonie qui se déroule deux fois par an, au printemps et à l’automne est appelée « Seokjonje ». On commémore à cette occasion, en plus de Confucius et des dix-huit sages coréens, les quatre disciples de Confucius et seize sages chinois dont on conserve également les tablettes.

« Seokjonje » est la plus grande cérémonie confucianiste (avec le rituel pour les rois de Joseon).

Dès que l’on pénètre dans la cour de l’Académie, on est saisi par la majesté du lieu. Le public, essentiellement masculin, est composé d’hommes vêtus, pour la plupart, d’une tenue traditionnelle de couleur pastel, et pour quelques-uns, probablement des dignitaires, d’un habit violet à broderies. Ceux qui n’ont pas revêtu la tenue semblent tous être des hommes d’affaire.

Quelques femmes, superbement maquillées et parées d’un « hanbok » vert vif, parsèment l’assemblée.

Face à l’entrée, la salle principale, « Daeseong-jeon » qui abrite les tablettes funéraires de Confucius et des sages chinois et coréens, c’est à cette seule occasion que l’on peut voir les ventaux ouverts sur les autels à tablettes.

Dans une galerie ouverte sur le devant se dressent les tables des offrandes. Un quart de la cour est occupé par des jeunes gens disposés en carré. Ce sont des étudiants de l’institut national de musique classique. Leur tenue, d’un rouge éclatant, leur stricte immobilité les fait ressembler à une peinture !

Ils sont coiffés d’un petit chapeau noir qui symbolise le savant, puis rouge qui représente le militaire.

Leur danse rythmera, dans un ensemble parfait, toute la cérémonie.

Des musiciens, répartis dans la galerie et l’arrière de la cour, accompagnent la célébration.

Après une procession jusqu’à l’autel pendant laquelle l’officiant convie les esprits à y pénétrer, on présente à ces derniers des offrandes de nourriture, de soie et d’alcool, ainsi que des prières.

Les danseurs effectuent une danse en deux parties sur de la musique rituelle.

Les esprits sont ensuite congédiés. La cérémonie est longue et lente, pleine de majesté.

Tout au long de la cérémonie qui dure environ deux heures, musique, chants, danses, prosternations, rituels se succèdent.

On quitte l’Académie muni d’une petite fiole d’alcool local, qui nous est remise à l’issue du service.

Il n’est pas évident pour le profane de décrypter ces rituels complexes.

Mais on se laisse gagner par la beauté du cérémonial, le cadencement de la musique, l’harmonie des chants et le chatoiement des tenues traditionnelles.