La visite du Pape en Corée du Sud : un tsunami spirituel

La visite du Pape en Corée du Sud : un tsunami spirituel


Du 13 au 18 août dernier, Pape François s’est rendu pour la première fois en Asie du sud-est à l’occasion notamment des Journées Asiatiques de la Jeunesse, qui avaient lieu à Daejon. Ces cinq jours, très intenses, ont été marqués par de nombreuses rencontres et, en particulier, la cérémonie de béatification de 124 martyrs – Paul Yun Ji-Chung et ses 123 compagnons – en présence d’une foule d’un million de personnes réunies sur l’immense place Gwanghwamun, en plein cœur de la capitale, Séoul. Le Saint-Père lui-même a résumé son voyage apostolique en trois mots: «mémoire –espérance –témoignage». Les retombées positives de ce voyage sont déjà visibles: les curés ont pu constater avec étonnement et aussi une grande joie que beaucoup de catholiques non pratiquants ou pratiquants occasionnels, en particulier des jeunes, sont revenus dans les paroisses dès le dimanche qui a suivi la visite du Pape. Des files de pénitents, y compris des adolescents et de jeunes adultes, attendaient devant les confessionnaux pour recevoir le pardon de Dieu, une démarche que beaucoup avaient négligé ces dernières années pour s’adonner aux jeux vidéos, aux sorties et aux études… Les demandes d’entrée en catéchuménat se sont multipliées, y compris sur internet; en effet, les différents sites catholiques ont été submergés de demandes du type: «que doit-on faire pour devenir catholique?». Enfin, de nombreux paroissiens n’hésitent plus à s’engager au service des plus pauvres en offrant leurs services dans les différentes confréries et associations qui œuvrent en faveur de ceux que cette société d’abondance laisse sur le bord du chemin… Comment peut-on expliquer un regain de ferveur aussi soudain?


Le peuple coréen a accueilli chaleureusement le Pape, et, en retour, il a été très touché par les gestes délicats du Souverain Pontife à l’égard de tous ceux qu’il a rencontrés durant les cinq jours de sa visite. On peut dire que le Pape François a réussi à incarner le message chrétien, celui de l’amour et du pardon, ce qui constitue le plus beau témoignage que l’Eglise peut rendre en Asie. Voici quelques exemples de ces attentions: le Pape a reçu les parents des victimes du naufrage du Sewol, en arborant le ruban jaune, symbole du combat des parents pour connaître la vérité sur cette tragédie et obtenir justice; il n’a pas hésité à baptiser le père de l’une des victimes, et, lors de la Messe célébrée en faveur de la réconciliation entre les deux Etats coréens, il a salué, l’une après l’autre, des femmes âgées, que les Japonais avaient réduit en esclavage durant la seconde guerre mondiale (les «femmes de réconfort»). De même, on ne peut passer sous silence la visite du Pape François à la «Maison de l’Espoir», qui, à Kkottongnae, accueille une cinquantaine d’enfants handicapés physiques et mentaux, ainsi que la prière dans le jardin, parsemé de dizaines de croix blanches, dédié aux enfants victimes de l’avortement, et, bien sûr, les gestes affectueux qu’il a adressés aux réfugiés de la Corée du Nord, qui ont fui l’enfer communiste pour gagner Séoul au prix d’une véritable odyssée… Le Pape a donc montré concrètement ce qui constitue le cœur du message de l’Evangile et de sa propre mission de vicaire du Christ: comme Jésus et en son nom, le Saint.-Père a voulu rencontrer l’autre personnellement, spécialement le plus faible, le plus malheureux, pour lui annoncer la Parole du Salut, manifestée dans la Croix glorieuse, celle qui conduit au baptême, à travers des gestes de miséricorde, qui sont ceux du Christ Sauveur. Oui, par ses gestes de charité, le Pape a conquis le cœur de nombreux Coréens, qui ont compris que, à la lumière de la foi chrétienne, tous les hommes sont dignes d’être rencontrés et aimés, et donc pardonnés, c’est-à-dire sauvés. C’est donc bien le visage du Christ lui-même que le Pape François rendait visible par ses gestes de miséricorde.

L’approche du Saint-Père fut donc clairement évangélique et missionnaire. Il savait qu’il visitait un pays où le capitalisme triomphant, marqué par des scandales politiques et financiers, provoque l’obscurcissement de la conscience, avec ses structures de péchés dues à un individualisme qui broie les plus faibles. Il s’est donc fait le chantre de la Vérité et de l’Espérance, c’est-à-dire de l’attention au plus démuni, autant le vieillard abandonné, qui n’a que la rue pour logement, que le jeune, esclave des jeux vidéos et de la course au diplôme. Il a encouragé les évêques coréens«à lutter contre la tentation de la prospérité et devenir une Eglise aisée pour les aisés», avec le danger de perdre «son levain prophétique». Face à la plaie de l’avortement, le Pape François s’est fait le Défenseur de la Vie et donc de la famille. Enfin, il a laissé un message particulièrement tonique aux jeunes qui participaient aux VIèmes Journées asiatiques de la Jeunesse: le Saint-Père les a exhortés à ne pas s’endormir dans les bras du matérialisme et du relativisme, et il les a incités à se lever et à aller vers les autres pour leur annoncer la joie de l’Evangile. Dans un pays où le taux de suicides est l’un des plus importants du monde, il a donc présenté l’Evangile comme «l’antidote au désespoir qui semble croître, tel un cancer dans la société qui, de l’extérieur, est anantie de bien matériels, mais qui fait souvent l’expérience de la tristesse intérieure et du vide». Il s’agit donc bien d’un envoi en mission: en reconnaissant le dynamisme des catholiques coréens (qui sont actuellement cinq millions contre 200 000 il y a soixante ans, moyennant 100 000 baptêmes chaque année), le Pape a fixé un cap pour que cette Eglise poursuive son œuvre missionnaire en Corée, et plus largement, en Asie. Il a donc encouragé les jeunes «à bâtir une Eglise plus sainte, plus missionnaire, plus humble… Une Eglise qui aime et adore Dieu en cherchant à servir les pauvres, les personnes abandonnées, les faibles et les marginalisés…».

Le Souverain Pontife n’a pas esquivé la question douloureuse de la déchirure entre le nord et le sud de la Corée, en s’adressant à ce peuple divisé avec la délicatesse d’un père. Il leur a laissé ce message: Vous ne formez qu’une seule famille. Il a donc voulu atteindre le cœur de chacun pour que, par le dialogue, la paix puisse s’établir de part et d’autre du rideau de barbelés qui divise encore les deux parties de la Corée. Pour cela, il a invité les catholiques à faire preuve du témoignage radical du pardon, en évoquant la Croix du Christ, en qui se révèle le pouvoir qu’a Dieu de résorber toutes les haines et les inimitiés, y compris les plus tenaces. Cette Messe pour la paix et la réconciliation, célébrée en la cathédrale de Myeong-Dong, à Séoul, a suscité un grand espoir dans le pays. C’est d’ailleurs la confiance en la puissance de la Croix qui a constitué l’ultime message qu’il a adressé au peuple coréen en conclusion de sa visite.

Le point d’orgue de la visite pontificale fut la Messe de béatification des 123 martyrs coréens, au cours de laquelle le Pape François a en quelque sorte condensé le message qu’il avait voulu adresser au peuple coréen durant ces cinq jours. Il leur a laissé des modèles et intercesseurs, ces fidèles laïcs qui furent à l’origine de l’évangélisation de leur pays, avec ce seul mot clef: «martyre». Cette nuée de témoins, qui s’ajoutent désormais aux 103 martyrs coréens et prêtres des Missions Etrangères de Paris, déjà canonisés par saint Jean-Paul II, en 1984, constituent le secret de la fécondité de l’Eglise en Corée, c’est-à-dire de sa croissance et de son dynamisme missionnaire. Le Pape a demandé aux fidèles de les prendre comme des modèles de foi. Il leur a rappelé que le chrétien est appelé à choisir entre Jésus, qui est la Vérité et la Vie éternelle, et le monde. Or, le martyre, qui connaît l’avertissement du Seigneur («le monde vous haïra à cause de moi») choisit le Seigneur et donc sa Croix: «ils étaient prêts à de grands sacrifices et à se laisser dépouiller de tout ce qui pouvait les éloigner du Christ: les biens, le prestige et l’honneur, puisqu’ils savaient que seul le Christ était leur vrai trésor». Le Pape François leur a dit clairement qu’il s’agit d’un message d’actualité: de nos jours, la foi est mise à l’épreuve du monde de diverses manières: «il nous est demandé de faire des compromis sur la foi, de diluer les exigences radicales de l’Évangile et de nous conformer à l’esprit du temps. Et cependant les martyrs nous rappellent de mettre le Christ au dessus de tout, et de voir tout le reste en ce monde en relation avec lui et avec son Royaume éternel. Ils nous provoquent à nous demander s’il y quelque chose pour laquelle nous serions prêts à mourir». Oui, à la suite de certains journalistes et observateurs, on peut parler de «syndrome du Pape François», car, depuis le 16 août, date de la béatification, le nombre de pèlerins visitant les différents sanctuaires des martyrs a augmenté de 30 %!

En guise de conclusion, revenons un instant à la «Maison de l’Espoir» de Kkottongnae, et regardons comment le Pape François a su prendre congé du peuple coréen en lui adressant son plus beau geste d’affection: avant de quitter les enfants malades, le Saint-Père s’est tourné vers une statue de la Vierge Marie, comme on peut en voir à l’entrée de toutes les paroisses catholiques dans ce pays (il s’agit souvent de Notre-Dame de Lourdes); il a dit avec eux un «Ave Maria», puis, en sortant de la salle, il a mis ses mains au-dessus de sa tête pour former un cœur avec ses bras, un signe fort en Corée qui signifit: «Je t’aime».

Père Philippe BLOT, MEP