Il est difficile de ne pas remarquer le goût prononcé des Coréens pour l’alcool, voire d’y échapper !
Mais d’où vient ce penchant qui fait vraiment pencher en cas d’abus ?
Boire pour valoriser sa masculinité, boire pour se désinhiber, boire pour casser les carcans sociaux, boire parce que les autres boivent, boire pour se saouler, boire pour oublier, boire pour boire…
1) Une culture de l’alcool ?
La fin d’un rendez-vous, deux amis qui se retrouvent, les employés après le travail, le patron qui veut féliciter
son ouvrier, le père qui découvre son gendre, ont tous à la bouche une phrase toute faite : « Soul han Jan habshida ! » (Prenons un verre d’alcool !). Notez que « han » est un quantitatif signifiant « un » mais, comme en français, cela s’arrête rarement à « un » seul verre !
En Corée, cette locution est une invitation à se revoir, et recevoir cette invitation signifie souvent que l’on a dépassé le stade strictement professionnel ou relationnel.
Les rapports sociaux entre hommes, en Corée, sont donc « très alcoolisés », et ne pas boire nuirait même à la sociabilité de l’individu (et ceci même pour un jeune de 18 ans qui commence à travailler !). Et boire est à ce point social que le verre d’alcool que l’on boit doit être versé par un autre, à moins que l’on soit seul (mais il est très rare qu’un Coréen boive seul).
« Bien » boire (traduisez « beaucoup ») pour un Coréen est une valorisation de sa force, une démonstration de son énergie, qui suscite de l’admiration.
2) La consommation de l’alcool
L’alcool en Corée se consomme généralement accompagné de petits plats, les « Anjou », kimchi avec tofu, saucisses, frites, soupes pimentées, fruits de mer, tripes… Si l’alcool est consommé en quantité, ces petits plats sont les bienvenus, et beaucoup de bars ne vendent pas d’alcool sans accompagnement « d’anjou ». « L’étiquette coréenne » impose que l’on ne se serve pas soi-même d’alcool, mais qu’un autre vous le serve. Cela se fait du reste avec les deux mains sur la bouteille, ou alors une main sur la poitrine, quand on verse de l’alcool à quelqu’un qui est plus âgé ou plus élevé socialement que vous.
Ne demandez pas non plus que l’on vous serve, attendez qu’un de vos hôtes ou invités remarque votre verre vide et vous propose de le remplir, vous n’attendrez jamais très longtemps !
De même, l’étiquette est aussi d’observer les verres des autres à la recherche de ceux qu’il vous faudra remplir en retour.
Un détail de l’étiquette concerne les plus jeunes face à leurs aînés. Ils doivent en priorité verser de l’alcool à leurs aînés, et souvent, lorsqu’ils en reçoivent de leur part, ils le boivent le visage légèrement de coté, pour ne pas boire face à face avec leurs aînés plus âgés qu’eux… D’ailleurs les jeunes filles font également ainsi lorsqu’elles sont en compagnie d’hommes plus âgés qu’elles.
Un autre cérémonial consiste à tendre à quelqu’un son verre que l’on vient de vider, et d’offrir à l’autre de l’alcool, même si son verre à lui est encore plein… alors il le boira « cul sec »… Le « cul sec » : les Coréens adorent cela… Si la consommation de l’alcool est une valorisation de sa force, le « cul sec » le symbolise, Cela se dit à l’américaine : « one shot » !
3)D’où vient ce goût de la consommation excessive ?
Les Coréens aiment les états d’extase, Un professeur, spécialisé dans les études des comportements humains, l’explique par les croyances chamanistes :
« Les Coréens désirent s’enfuir de l’ordre rigide social qui leur est imposé et, inconsciemment, cherchent à libérer leur esprit et à pénétrer dans un état de liberté et de spiritualité effrénées et anarchiques en buvant beaucoup. Cette mentalité tire son origine des rituels chamanistes et s’est développée en une espèce d’instinct particulier chez le peuple coréen. Au cours du déroulement des rituels chamanistes le chamane (« mudang ») en transes, et le public qui assiste à la cérémonie, sont unis pour parvenir à une symbiose spirituelle et communiquer avec les esprits en dansant, chantant et buvant ensemble, »
L’anthropologue Joo Yongha affirme quant à lui que l’obsession contemporaine des Sud-coréens pour la boisson est apparue récemment au milieu des années 60 :
« L’interdiction par le gouvernement d’utiliser le riz pour fabriquer du « makkolle », alcool grossièrement fermenté qui constituait le spiritueux le plus en vogue à l’époque, est à l’origine du succès grandissant du « sojù », autre alcool répandu dans le pays. »
4) L’histoire de l’alcool en Corée
A la fin de l’époque « Koryo », il existait trois types d’alcool, les « takju » (boisson alcoolisée non raffinée de céréales fermentées), les « cheongju » (eaux de vie distillées à base de riz fermente), et les « junglyuju » (liqueurs distillées).
Lorsque l’alcool distillé qu’est le « sojù » fut introduit en Corée par les envahisseurs mongols au XIIe siècle, les premiers abus d’alcool firent leur apparition. Pourtant, la consommation excessive de « sojù » devint un problème social pendant la fin de l’époque du royaume de « Koryeo » (918-1392), forçant le roi Woo à promulguer, en 1375, un décret interdisant le « sojù ».
Au cours de la période suivante, celle du Royaume de « Choson » (1392-1910), les autorités interdirent même le « sojù », sauf en tant que médicament.
La plupart du temps, les interdictions étaient décrétées lorsque le pays était touché par des catastrophes naturelles pour économiser le grain (riz) ou lorsque les fonctionnaires remarquaient que le peuple utilisait trop de riz pour la fabrication de l’alcool et pas assez pour se nourrir…
C’est au début de la période de « Koryo » que l’idée de « sortir boire » apparut. Des bars destinés à la classe supérieure furent établis dans la capitale du Royaume, « Kaeseong », sous la houlette du gouvernement qui désirait faire circuler les pièces de monnaie.
Dans la période « Chosun » de la Corée (avant la colonisation japonaise), les Coréens fabriquaient beaucoup eux-mêmes leurs alcools. Il en a été recensé près de 300, mais beaucoup ont été perdus aujourd’hui !
Les Japonais ont interdit cette pratique en 1916, puis les gouvernements coréens aussi, les taxes sur les alcools étant une source de profit non négligeable. Cette interdiction a été levée en 1982. Les Coréens vont-ils reprendre le goût de la fabrication de nouveaux « alcool maison » ?
5) La consommation d’alcool chez Confucius
Le titre peut choquer, l’alcool n’est pas dans les principes de Confucius ! Mais les ancêtres des Coréens actuels utilisaient l’alcool pour des libations : des offrandes au Ciel ou aux ancêtres. Par contre, l’excès de boisson est prohibé par un article du code confucianiste concernant la consommation d’alcool, le « Hyangeumjurae ». Ce code montre que « trop boire » nuit à la santé et aux relations sociales ; il prône la maîtrise de soi et l’harmonie.
Dans la tradition confucéenne, boire était une voie d’éclaircissement, plutôt qu’une fête !
Apres avoir bu, une personne se levait et récitait une liste de concepts, de la piété filiale à l’harmonie avec la nature, et on faisait des libations à chacun de ces termes.
6) L’alcool et le chamanisme
Pas de rite chamane sans libation ! Que ce soit pour le « kut » (rituel chamane de consultation des esprits), pour le « chesa » (rituel de piété envers ses ancêtres), ou pour le « kosa » (rituel de piété envers les esprits), on ne peut pas se passer d’alcool.
Lors du « chesa » ou « kosa », l’offrande d’alcool, très codifiée, est même centrale.
7) Les « lendemains » de l’alcool
Lendemains qui déchantent : porter une barre de plomb au-dessus des yeux, sentir ses cheveux qui poussent à l’intérieur de la tête, une éponge à la place de la langue, les intestins en double nœud, l’impression d’avoir mâché une boîte de conserve… les plaisirs de la boisson se payent « comptant » le jour… Dans de tels cas, essayez donc un restaurant coréen pour manger le « haejangkuk » : un bouillon d’os de bœuf enrichi avec des feuilles de choux sec et de sang coagulé de bœuf. Un vrai remède miracle contre les maux de tête et les désagréments du ventre !
Et si vous êtes réticent au sang de bœuf, entrez dans une pharmacie coréenne et demandez-y en médicament contre les effets de l’alcool, « soulyak ».
Quelques cachets, parfois une poudre pâteuse en bouche très efficace et une de ces petites boissons médicamenteuses, un cocktail détonant qui soigne en quelques minutes les « gueules de bois » les plus tenaces.
8) Business de l’alcool ?
Publicité sur l’alcool omniprésente, affiches dans tous les restaurants. Un marché juteux qui pèse lourd dans l’économie coréenne, contrebalancé par d’immenses dépenses de santé.
Toutes les célébrités de la télévision posent pour des affiches de liqueurs ou de bi